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La swastika (à Bali) ou svastika (en Inde) est
un terme qui vient du sanskrit Su (« bon ») et
Asti (« Cela est ») et qui signifie grosso modo
« bien-être » ; il peut aussi signifier « ce qui porte
chance ». Louis Frédéric, dans son Dictionnaire de la
civilisation indienne, précise qu’il s’agit d’une « croix
potencée dont les quatre barres terminales à angle droit
sont normalement orientées vers la droite », ce qui est
supposé représenter la révolution du soleil et le centre en
mouvement. L’indianiste précise que lorsque ces barres sont
orientées vers la gauche, la croix est appelée Sauvastika,
et cela serait dans ce cas un signe néfaste. Si la swastika
est d’origine indienne, sa provenance première pourrait être
l’Asie mineure, elle relève d’un signe magique symbolisant
les forces cosmiques qui remonterait vers -4000 voire -5000
avant JC.

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Au bord du Gange, dans la ville sainte de Bénarès
en Inde, une swastika peinte en haut des ghâts vient
souligner l’intensité de la foi dans cette cité
devenue La Mecque de l’hindouisme… |
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Il est intéressant de relever que ce symbole a été retrouvé
à toutes les époques et dans quasiment toutes les régions du
monde : par exemple il est utilisé comme motif très prisé
sur les bijoux (notamment colliers et pendentifs) iraniens,
grecs, danois, ou encore des indiens navajos… Scythes et
Vikings n’ont pas attendu les nazis allemands pour s’emparer
et s’approprier cet ancien symbole. En dévoyant son sens, en
en faisant même leur emblème, les nationaux-socialistes
d’Hitler ont transformé (dès l’année 1920) la swastika – en
l’inclinant de 45 degrés au passage – en « croix gammée »
considérant à tort qu’il s’agissait là du symbole de ladite
« aryanité ». Comme l’illustrent certaines photos
ci-dessous, à côté de l’hindouisme, le bouddhisme partout en
Asie, le jaïnisme en Inde, la religion ancienne des Cham du
Vietnam, entre autres, font grand usage de ce symbole, lui
accordant ici ou là des fonctions proches mais toujours un
peu spécifiques en fonction des cultures locales. Si dans le
brahmanisme la swastika est le symbole de Ganesh (le dieu à
tête d’éléphant, fils de Shiva), dans les divers courants du
bouddhisme elle est plus communément le symbole de
l’ésotérisme.
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Tombes de l’ethnie Cham (aujourd’hui scindée en deux
groupes, hindous et musulmans), au centre du
Vietnam. Ce ne sont évidemment pas des tombes
profanées par de vulgaires néo-nazis en mal de haine
mais plutôt un symbole de promesse pour les défunts
d’une vie plus prospère dans l’au-delà… |
Chez les Hindous, en Inde du Nord, au Rajasthan
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Offrandes de riz dans un temple jaïn en Inde |
A l’époque
védique, en Inde, un instrument servant à faire du feu –
appelé arani – et confectionné à partir d’un morceau
de bois d’acacia, était essentiel pour allumer le feu à
l’occasion des rituels et sacrifices brahmaniques. Le dieu
du feu, Agni, était censé surgir du bûcher. Certains
chercheurs estiment que cet ancien instrument aurait été à
l’origine du symbole de la swastika. Il est en tout cas
remarquable de constater à quel point on découvre ce symbole
dans les civilisations les plus éloignées. Si des liens sont
décelables, on a fort justement pensé que les différentes
graphies de la swastika sont nées indépendamment les unes
des autres.
Tout a en fait commencé en Mésopotamie puis sa présence
s’est affirmée au cours de l’Age du Bronze (Asie centrale,
Caucase, Europe, pays nordiques). Puis, la swastika se
retrouve en Chine comme en Amérique du Nord. Etrange tout de
même qu’on ait ainsi retrouvé ce même symbole à travers la
planète : mouvement rotatif, motif décoratif, symbole
religieux, les riches fonctions potentielles de la swastika
ont certainement contribué à un tel succès mondial ! Trop
parfois…
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Au nord de Bali, dans le village de
Wanagiri, on peut lire sur cette
enseigne posée devant l’école primaire que
l’établissement a ouvert ses portes le 1er
janvier 1963. En haut une swastika et au bas
un texte rédigé dans l’ancienne écriture
balinaise, aujourd’hui seulement lisible par
de rares érudits et les grand prêtres (pedanda). |
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En Orient, lavée évidemment de tout soupçon idéologique
nauséabond, la croix en forme de swastika est d’abord un
signe de bon augure. A l’occasion d’un rituel d’initiation
hindou en Inde, on dessine une swastika sur la tête rasée
d’un garçon ; à Bali également, on trace régulièrement des
swastika sur les décorations, sur les offrandes, et par
exemple sur le porche d’entrée lors d’une cérémonie ou sur
l’affiche de programmation d’une crémation Aujourd’hui à
Bali – tout comme en Inde bien sûr – elle est présente à
tous les étages et sur tous les murs. Elle promet avant tout
du bon business, une bonne fortune, bref de la chance. Les
prêtres balinais l’arborent sans cesse, comme en atteste par
exemple la carte de visite d’un de mes amis pedanda
du nord de l’île. Croix taboue en Occident (et pour cause !)
mais signe de bon présage en Orient, la swastika est aussi
entré sur le marché et au cœur de la mondialisation… Pour le
meilleur et le pire.
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Un exemple de carte de visite d’un
pedanda ou grand prêtre qui habite et
officie dans le village de Pancasari
au nord de Bali. La swastika figure toujours
en bonne place afin d’encourager la
prospérité tout en se protégeant au mieux. |
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Marketing oblige, dans la station balnéaire de Sanur, dans
le sud de Bali, un hôtel se nomme Swastika Bungalows et on
ne compte plus les restaurants et guesthouses qui portent le
nom de Swastika. Et, plus inquiétant, d’autant plus que des
lobbies islamistes entretiennent la confusion, on voit
apparaître Mein Kampf en tête de gondole dans les rayons des
rares librairies indonésiennes et même balinaises… Certains
jeunes balinais, malheureusement par manque d’éducation
aussi, se voient attirés par la couverture, arborant une
étrange « swastika » mais inclinée… Du coup, certains jeunes
autochtones s’interrogent : « et si finalement ce fameux
Hitler n’était pas si mauvais ? » ou encore :« Ah, ce n’est
donc pas par hasard que l’Indonésie refuse d’octroyer des
visas aux ressortissants d’Israël »…

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Deux tomes d’un ouvrage criminel… que l’on peut
pourtant trouver très facilement sur les étagères
des librairies en Indonésie… |
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Aie, aie,
on le voit, les dérives sont faciles surtout lorsque le
savoir manque. C’est là où le travail de mémoire doit avoir
lieu, absolument, dans les écoles et dans les familles, car
comme pour les crimes de Suharto encore passés sous silence,
il y a dans ces instrumentalisations de l’histoire – ici du
nazisme en l’occurrence – des chemins et des rives à ne pas
emprunter…
Aujourd’hui, heureusement, à Bali comme ailleurs, c’est
l’éléphant Ganesh qui l’a emporté sur l’oncle Adolf, et
pourvu que cette victoire dure longtemps… |
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