lady gaga indonesie

L'Indonésie, gaga du FPI ?
L'islam croissant et la sexy lady

 

Pour l’Indonésie, et notamment ses médias, le mois de mai 2012 fut celui de l’accident du Sukhoi, survenu sur les hauteurs du mont Salak, non loin de Bogor. Tout le monde ou presque, sans jamais négliger une bonne dose de pathos, ne parlait que de cette tragédie, dont l’essai aérien devait être une première et non pas une dernière… jusqu’à ce que surgisse sur la scène politico-médiatique – et non sur la scène musicale d’un stade à Jakarta – Miss Lady Gaga. Et là, les esprits s’émoustillent voire s’échauffent, les pupilles se dilatent avant de se refermer sur une chape de plomb religieuse qui a certainement de quoi inquiéter le devenir des Indonésiens. Ensuite, lorsque la frustration et l’excitation s’en mêlent, la tragédie cède certes le pas à l’ironie, mais les pinceaux s’emmêlent encore davantage : « Ah, c’est pas bon pour le pays et j’espère qu’elle ne viendra pas… mais si elle devait venir, tu crois qu’elle enlèvera son soutien-gorge sur scène ? » ai-je entendu de la bouche d’un jeune indonésien, mi-joueur et mi-sérieux ! Difficile à interpréter ce genre de propos…

 

 

La fureur de Lady Gaga

 

Qualifiée de « satanique » par les islamistes indonésiens, Lady Gaga ne se produira pas en concert à Jakarta, comme cela était prévu de longue date, le 3 juin 2012. Pourtant, ce ne sont pas les islamistes – avec leurs courants divers – qui gouvernent l’Indonésie mais bien une démocratie parlementaire avec à la tête du pays un président qui, à force d’offrir des gages à tout le monde – islamistes compris – ne sait plus où donner de la tête… et ne plus se faire respecter.

 

Les organisateurs du concert et le staff de Lady Gaga tombent un peu des nues et s’étonnent de la décision de la police jakartanaise de ne pas autoriser cet événement… en dépit des plus de 50.000 billets déjà vendus. Les « petits monstres » – surnoms des fans de la chanteuse – étaient pourtant au parfum puisque leur idole relevait du démon et même de Satan en personne. Sans compter que « l’idolâtrie » est un péché autant pour les instances musulmanes que chrétiennes. Pour les fans ainsi martyrisés peut-être serait-il plus judicieux d’opter pour une vieille religion politique, désuète mais populaire à une époque, le marxisme ! Ici pas de dieu officiel, et Big Daddy, promoteur de la tournée de Lady Gaga, adopte déjà la terminologie marxiste. Ne laissant pas tomber l’affaire jusqu’au dernier moment, il lance un vibrant « Poursuivons le combat ». On peut en rire mais c’est dit. On peut aimer ou détester Lady Gaga, là n’est pas le souci, mais chaque époque a sans doute les combats qu’elle mérite…

 

Devant cette menace plus érotique que musicale, le « Conseil des oulémas » ou MUI (la plus haute autorité religieuse islamique dans le pays) a rapidement porté plainte contre la tenue de ce concert : trop trash, trop sexy. La police a emboîté le pas, la cadence plutôt. Quant au fameux Front des Défenseurs de l'Islam (FPI), à la réputation bien établie dans l’archipel, et connu pour ses actes violents et autres opérations punitives, il avait promis de réunir au moins 30.000 militants, plus ou moins en tenue de combat, pour empêcher la chanteuse de « répandre sa foi satanique ». Dans le Jakarta Post du 10 mai 2012, on peut lire que le FPI fera ce qu’il faut pour attendre la star à sa descente d’avion et pour la remettre, de gré ou de force, dans le même avion, afin qu’elle quitte immédiatement le territoire. Les menaces se sont concrétisées au fil des jours, le FPI restant sur une ligne dure comme d’accoutumée : « Soyez prêts au chaos à Jakarta. Nous sommes prêts à être jetés en prison et être tués » a déclaré Salim Alatas, le prolixe et fringuant patron du FPI. Plus délirant, lorsque ce dernier exige que la star dise publiquement « qu’elle n’est pas une enfant de Satan »… Qu’est-ce qu’il vient faire ici lui ? On se le demande. Quelques jours plus tard, alors que l’interdiction était devenue effective, Habib Salim Alatas revient à la charge contre la star, avec encore plus d’entrain : « elle ne porte que des culottes et un soutien-gorge. Elle est très dangereuse pour les jeunes générations. Elle a elle-même dit qu’elle était le messager du diable ». Et si l’Indonésie aurait davantage besoin de psychanalystes que de prédicateurs ?

 

Devant la toute-puissance, qui n’a rien de divine, du FPI, la police baisse les bras, impuissants, les politiques se comportent comme de vulgaires tire-au-flanc, masquant à peine leurs intérêts égoïstes et électoralistes, les autres religions se terrent ou se taisent, le président pondère, c’est d’ailleurs à peu près ce qu’il sait faire de mieux… On le voit, face à tant de démissions, le contexte est favorable pour les islamistes en général et pour le FPI en particulier.

 

A partir du 14 et surtout du 15 mai, et faisant suite à la décision d’interdiction de la police, le débat autour de la tenue du concert de Lady Gaga monte d’un cran, et chacun y va de sa surenchère démagogique. Plutôt surréaliste, un débat télévisé, diffusé sur la chaîne indonésienne TV One, le 16 mai en soirée, s’est intitulé « FPI versus Lady Gaga ». Commentateurs et bonimenteurs, journalistes et islamistes s’en sont donnés de tout cœur pour attaquer la chanteuse qui gêne au point qu’elle est parfois présentée comme une dégénérée. Il est surtout incroyable de voir qu’à l’issue du « débat », personne n’a réellement eu le courage d’affronter publiquement Salim Alatas du FPI et même d’autres responsables d’organisations musulmanes. Dans cette même émission, un islamiste pouvait ainsi expliquer, sans être interrompu, que Lady Gaga n’était qu’une lesbienne qui représentait et travaillait pour l’Etat d’Israël, parmi d’autres idioties du même acabit. Il reste nombre de tabous à déboulonner si le pays souhaite instaurer une authentique démocratie... Même le populaire « Jokowi » (alias Joko Widodo), réputé maire de Solo et candidat au poste de gouverneur de Jakarta, a épaulé la décision de la police, ne souhaitant visiblement prendre aucun risque… Lors du débat télévisé évoqué ci-dessous, il était également présent et gardait la tête basse rechignant à s’exprimer. Et lorsqu’il parlait c’est pour lâcher un « …mais, au fait, qui est donc Lady Gaga ? ». Pour lui, sa musique ne lui parle pas et ne correspond pas aux Indonésiens, il dit préférer le son lourd mais clair de Metallica… C’est différent en effet, plus consensuel et moins sexy aussi ! Mais, en regardant ce débat, cela rappelait des images douloureuses où l’on voyait, au printemps 1933, les sociaux-démocrates faire comme si de rien n’était pendant que les nazis prenaient possession des bancs de l’assemblée du Reichstag et bien plus encore de la rue… Toutes proportions gardées, et à 80 ans d’écart, le FPI de Salim Alatas en 2012 c’est un peu les SA de Ernst Röhm en 1932, à la veille de la prise du pouvoir, en toute légalité, par les nazis.

 

 

Vie paisible et nonchalante dans la fraîcheur toute relative d’une belle mosquée toute verte à Ambon. Ce jeune croyant porte pourtant un tee-shirt dangereux qui risque de lui attirer les foudres de Satan : « rock & desire », n’est-ce pas précisément ce qui inquiète les musulmans extrémistes. Il est en tout cas bien agréable de voir ce jeune homme s’amuser dans la mosquée entouré de ses amis. On me rétorquera qu’il ne pouvait pas aller au concert de Lady Gaga puisqu’il a été annulé, alors il s’est rebattu sur la mosquée…

 

lady gaga indonésie
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Pourtant, cette affaire Gaga commence aussi à exaspérer tous les Indonésiens progressistes, fatigués de subir et trop souvent incapables d’agir, et qui souhaitent un changement dans l’évolution des mœurs. Pour la jeunesse et pour l’Indonésie. Des intellectuels et des journalistes se mobilisent aussi pour exprimer leurs inquiétudes. Le titre d’un article du Jakarta Post du 17 mai 2012 est explicite : « Le tollé autour de Gaga prouve que des ‘fractions dures’ (de l’islam) dirigent ce pays ». Cet article donne la parole au recteur de la Syarif Hidayatullah Islamic State University, Komaruddin Hidayat, qui considère que « certains groupes sociaux ou religieux sont parvenus à influencer, avec succès, le gouvernement dans le but qu’il intervienne pour limiter la liberté d’expression en Indonésie ». Un constat grave et accablant, et le recteur poursuit : « Cette situation prouve qu’il existe des officiels frauduleux qui instrumentalisent les groupes extrémistes pour satisfaire leurs propres intérêts politiques »… La non-venue de Lady Gaga à Jakarta aura au moins eu le mérite de dévoiler des pratiques honteuses et de mettre certains sujets politiques et religieux sur la table. Mais comment, maintenant, ne pas les évacuer d’une seule traite ? Comme si ces soucis n’avaient jamais existé…

 

 

Le courage de Irshad Manji

 

La parution en Indonésie (et en indonésien) du livre Allah, Liberty & Love de Irshad Manji, activiste et féministe musulmane, auteure (« controversée » comme on dit poliment ici) de textes qui font bondir les islamistes, est « l’autre affaire » qui jouxte celle de la sexy lady international. Deux femmes liées par le contexte et par, dans une moindre mesure, leur forte personnalité et leur implication en faveur des homosexuels et d’une certaine idée de la liberté d’expression.

 

En effet, la venue et la promotion du dernier livre de l’écrivaine canadienne – d’origine ougandaise – Irshad Manji sont également très mal perçues par nombre de musulmans indonésiens et pas seulement de la part des extrémistes ou des membres du FPI. Ouvertement féministe et lesbienne, Manji critique, arguments à l’appui, les interprétations littérales du Coran qui, comme chacun sait, sont utilisées selon des intérêts précis et ciblés. Ennemie publique n°1… de Ben Laden, elle revendique haut et fort son attachement à une tradition musulmane ouverte sur le monde (désignée sous le nom de « ijtihad » et qui revendique une pensée indépendante et libre, c’est son « cheval de bataille »). Devenue rapidement la bête noire des islamistes radicaux, Irshad Manji est sortie de l’ombre grâce à son ouvrage Musulmane mais libre (paru en 2004) qui a défrayé la chronique internationale dans le petit monde des livres. Sans verser dans l’angélisme – ce qui serait un comble pour une personne accusée de collusion avec le satanisme ! – sa vie de femme, d’étrangère, de musulmane, de militante aussi, fut pavée d’embûches. Mais exilée au Canada, dont elle deviendra citoyenne, son ascension personnelle et ses multiples combats en faveur du droit des femmes et de toutes les minorités font leur petit bonhomme de chemin. Politicienne, journaliste, intellectuelle engagée, l’un de ses combats les plus importants consiste à donner une autre image de l’islam. Ainsi, elle critique en particulier la vision de l’homosexualité délivrée par les extrémistes de l’islam traditionnel qui, contrairement à la loi coranique, récusent ce dit du prophète : « Allah a rendu excellent tout ce qu’il a créé ». Pas étonnant que dans ce contexte elle soit devenue l’amie de Salman Rushdie et qu’elle partage avec lui, en outre du plaisir des livres, celui moins jouissif d’avoir été menacée de mort à plusieurs reprises. Sorte de porte-parole des femmes en terre d’islam, Manji est cependant souvent critiquée pour son mode de vie jugé trop occidental, ses propos considérés comme étant parfois trop « doux » envers Israël ou trop anti-arabes lorsque qu’elle rapproche (un peu vite il est vrai) la culture arabe d’un « islam du désert ». Alors, lorsqu’elle arrive en Indonésie pour la parution – dans sa traduction indonésienne – de son dernier livre, Allah, liberté et amour (2012, disponible en français), les islamistes de l’archipel et de tout poil sont hérissés, énervés, échaudés… Mais l’écrivaine a toutefois pu discuter, débattre et promouvoir « librement » son livre traduit en indonésien, ce qui en soi est déjà un véritable exploit compte-tenu du contexte actuel. Il demeure qu’en ces temps troubles Irshad Manji est en quelque sorte devenue la parfaite « compagne » de route de Lady Gaga pour des médias et des habitants peu soucieux de vérité et de réflexion… Symptôme inquiétant de ce vent mauvais qui souffle sur l’Indonésie, la liberté d’expression semble perdre du chemin même auprès de celles et ceux qui la défendent comme ils peuvent. La force du FPI et de ses sbires est d’arriver à ronger jusqu’aux fondements des relations humaines. Même certains chercheurs ou sociologues se sentent par exemple contraints de faire des compromis. Ida Ruwaida rapporte ainsi au Jakarta Post daté du 16 mai 2012 que « le gouvernement aurait pu autoriser Lady Gaga à donner son spectacle dans le pays mais en lui précisant qu’elle ne pourra pas porter tous les styles de vêtement » ; de l’avis de l’enseignante-sociologue, cela n’aurait pas offensé la chanteuse qui aurait compris qu’il s’agit simplement de respecter la culture du pays hôte. Heureusement, notre sociologue avait trouvé plus d’égard et de crédit à la venue de Manji lors de la promotion de son livre. Peut-être que tout simplement elle n’aime pas Lady Gaga. Moi non plus. Et alors ?

 

On notera d’ailleurs qu’au même moment où, sous la pression islamiste, le concert de Lady Gaga a été officiellement interdit à Jakarta et donc annulé, à Kuala Lumpur, dans la capitale malaisienne, on a refusé à Irshad Manji de parler devant un auditoire d’universitaires et d’étudiants. Causer de quoi ? D’islam, de liberté et d’amour évidemment. Des thèmes risqués et dangereux, il serait en effet plus judicieux d’évoquer la bourse, le dernier 4x4 à la mode ou l’ouverture du dernier Starbucks dans la capitale… Ici aussi, le principal libraire impliqué et l’université qui souhaitait l’inviter ont dû faire marche arrière suite au diktat rendu par le tout-puissant « département de la religion islamique » de Selangor. La Malaisie semblait jusqu’à ce jour nettement plus « fermée » que l’Indonésie sur le plan « culturel » : Beyoncé a par exemple dû annuler un concert à Kuala Lumpur en 2007, et Lady Gaga n’a même pas tenté d’y chanter, le risque est maintenant de voir l’Indonésie marcher sur ses traces de fermeture… Mais la résistance s’active. Beaucoup d’Indonésiens, jeunes et moins jeunes, sont effarés et écoeurés des tournures de cette affaire, et il le racontent massivement sur les forums des sites de la presse (notamment le Jakarta Globe), sur les blogs, Facebook, Twitter, etc. Un début d’insoumission salutaire ? Peut-être lorsqu’on lit sur les divers sites que la vraie menace n’est pas l’art ou la musique mais le FPI ou la corruption… En Indonésie comme en Malaisie, l’émergence économique tant vantée « dehors » n’a pas encore débouchée sur une émergence dans le domaine des libertés « dedans »… « Dépenser oui, penser non », pourrait être le nouveau mot d’ordre des autorités politiques en charge ! En espérant toutefois qu’il ne feront pas trop de zèle dans cette direction Ou alors, c’est donner libre cours à toutes les dérives.

 

 

Satan et les Moluques

 

Terminons avec l’exemple de l’Indonésie orientale. Là, a fortiori aux Moluques, le risque est de voir Satan surgir à tous les coins de rue. Déambulant dans les rayons de la librairie Gramedia à Ambon, je tombe non sur Satan lui-même mais sur son ombre, son fantôme peut-être : Hitler, Adolf de son prénom. Satan serait donc débusqué ? Surtout lorsque, sur la couverture du livre, je vois en haut de la tête du sanglant moustachu, ce titre ravageur et vrai scoop si ce n’était pas totalement bidon : « Hitler est mort en Indonésie ». Ben oui, il fallait y penser. C’est écrit en bahasa indonesia, et personne – ni chrétiens ni musulmans du cru, pour une fois unis – ne paraît s’offusquer ou même déplorer ce genre de production « littéraire ». A croire que les autodafés n’ont jamais été effectués pour les « bons » livres… L’inculture mène à toutes les dérives, les plus tragiques et les plus risibles. Ici, dans les Moluques, on trouve les deux. Mais, reprenons, car je tente de poursuivre ma route pour trouver Satan qui menace l’intégrité de la nation et la moralité de la jeunesse. Donc, un quart d’heure après avoir quitté la librairie et l’Adolf à bottes, voilà que je me trouve devant une vaste église protestante, située un peu à l’écart, protégée par des statues de prime abord angéliques mais dont une observation plus rapprochée m’invite soudain au malaise : encore lui ! Non, pas vraiment Adolf, mais le nazisme… C’est troublant de voir un ange faire le salut nazi à 12000 km de de l’Axe Berlin-Paris (cf. les deux photos) ! En plus il y en a une petite dizaine de ces anges diaboliques qui se signent ainsi. Consternant aussi car, venant d’apprendre que le chef des nazis était mort en Indonésie, il se pouvait que certains de ces fidèles lieutenants se trouvaient à quelques pas de moi, peut-être réfugiés dans ce temple protestant et religieusement protégés par ces anges de la mort qui trônent devant les entrées… Je me ressaisis et, constatant qu’une classe de primaire venait d’arriver, entonnant des chants religieux tonitruants et portant fièrement le missel à la main, je me suis dit, sans doute pour me rassurer, que tout va bien et que ces mômes étaient bien trop mignons pour avoir quelque lien avec les anges exterminateurs du voisinage. Cela dit, les nazis aussi avaient des enfants… Toujours est-il qu’après cette escapade, Satan pour moi avait tout l’air d’un ange. Et cela ne pouvait convenir ni aux chrétiens ni aux musulmans, des Moluques et d’ailleurs.

 

 

Au centre de la ville d’Ambon, déniché dans une grande librairie voici un livre à ne pas acheter… et à quelques centaines de mètres de là, devant une plutôt belle église protestante, un ange semble faire le salut nazi. Mais tout cela n’est qu’illusion : le véritable ennemi n’est pas l’intolérance politique et religieuse, c’est Satan, il est parmi nous, et le Mal – à défaut de mâle – porte désormais un nom : Lady Gaga, évidemment…

 

lady gaga indonésie
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Satan n’est pas un ange et vice-versa. Car Satan est une femme qui ressemble à Lady Gaga. C’est clair, net et précis. Maintenant il va falloir lui régler son compte. Le FPI est bien placé pour activer la fureur à sa manière et ses troupes d’élites ne sont pas des anges justement. Par exemple, dans une petite mosquée d’un hameau perdu du nord de l’île d’Ambon, un bulletin hebdomadaire d’information est offert aux fidèles (Bulletin Dakwah Al Islam), et qu’y trouve-t-on ? Dans son édition du 11 mai 2012, le sujet porte sur « Liberalisme, Agama & Budaya » (libéralisme, religion et culture). Mais attention, en Indonésie, où l’on ne badine pas avec la foi, « libéralisme » est nettement plus proche du sens qu’on donne en français au terme « libertinage » qu’à celui de « capitalisme » ou même de « libéralisme » au sens habituel anglo-saxon… Et là, sur ce tract d’un bout du monde, on peut déceler une attaque en règle à la fois contre l’homosexualité et contre Lady Gaga, dont le concert à Jakarta était encore à cette date officiellement prévu. Nul doute que les rédacteurs du bulletin n’aiment guère la démoniaque chanteuse qu’ils considèrent non seulement « vulgaire » mais surtout encourageant le sexe à tous les étages et promouvant la cause homosexuelle. Ce bulletin stipule encore qu’en Indonésie « l’agenda du libéralisme (comprendre en termes de sexualité et de mœurs) ne consiste à rien d’autre qu’à détruire l’islam et briser la communauté de croyants ». Whouah, cela accorde beaucoup de pouvoir et de responsabilité à Lady Gaga, non ? Pas vraiment gaga la lady mais peut-être un peu chamane, non ? A l’image de ces prêtres bisu, à Sulawesi-Sud, en bonne terre d’islam, mais où chamanisme, féminité et même sexe n’ont pas toujours été des mots proscrits… Cela ne règle pas pour autant notre histoire bien satanique où, bizarrement, certains thèmes récurrents des deux fascismes, musulmans et nazis, le nouveau et l’ancien, se découvrent de troublantes ressemblances. Un premier pas vers l’harmonie ? Pour l’heure, « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », c’est bien connu : on a vu cela en 1939 avec le pacte germano-soviétique et aujourd’hui de la part de certains islamistes radicaux lorsqu’ils éructent que Lady Gaga serait un dangereux agent sioniste envoyé tout droit d’Israël pour détruire l’islam et l’Indonésie, rien que ça !

 

Bref, malgré la délation ambiante, Satan reste introuvable. On ne peut le « fixer » ni le virer, donc on va se contenter de l’empêcher de pénétrer sur le territoire national indonésien… Un peu comme pour les citoyens d’Israël.

 

 

La « Une » du 16 mai 2012, du quotidien local Ambon Express, qui illustre les violents affrontements (le titre évoque une « pluie de pierres ») de la veille qui ont embrasé le centre de la capitale des Moluques. A droite, page de garde du bulletin pro-islamiste distribué dans certaines mosquées.

 

lady gaga indonésie
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Alors, Satan caché dans un buisson ardant ? Ou Satan déguisé en drag-queen (voire en ogoh-ogoh à Bali )? Il reste que Satan rôde et cela pose un problème certain : non pour Lady Gaga qui trouvera un autre archipel où donner de la voix, mais pour les Indonésiens eux-mêmes, tous ceux – et ils sont nombreux – qui souhaiteraient vivre ensemble en bonne entente et intelligence. C’est peut-être ces deux termes (« entente » et « intelligence ») qui semblent terriblement manquer aux deux monothéismes bourrus de certitudes et qui, mutuellement, se sermonnent puis s’affrontent allègrement à la machette. On a vu qu’au sujet de Lady Gaga, les extrémistes protestants sud-coréens ont totalement partagé le point de vue des extrémistes musulmans indonésiens. Ce qui prouverait, par l’absurde, que les deux religions pourrait un jour s’entendre ? En attendant, Satan court toujours, mais à Ambon, le 15 mai au matin, on compte au moins deux morts et une soixantaine de blessés, presque tous chrétiens. Pour les médias locaux, rien ne filtre, pas de morts, seulement des affrontements « interethniques » habituels, il ne faut pas s’alarmer de trop ni mettre de l’huile sur le feu. Même si la maison a commencé à brûler…

 

Et Lady Gaga dans tout ça ? Elle n’était pas de la partie, et tout a en fait explosé lors d’une célébration de commémoration nationale (à propos du héros Pattimura)… mais la chanteuse de Poker Face, dont tout le monde parle, s’est invitée sur scène sans le savoir (encore un coup de Satan ou un voyage chamanique ?). Sans le vouloir aussi. Face à l’islam croissant dans l’archipel, le pays va devoir jouer son va-tout…

 

 

Au lendemain des émeutes d’Ambon, le 16 mai 2012 : tensions apparentes et occupation militaro-policière.

 

lady gaga indonésie
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Alors l’Indonésie complètement gaga du FPI ? Non, et on doit tous espérer que non, en revanche le pays est totalement groggy par les agissements du FPI. Avec un président plus qu’absent et des islamistes omniprésents. En politique comme dans la vie, on aurait tort d’oublier qu’une place laissée vacante est vite occupée par des énergumènes plus dynamiques, toujours aux abois, et qui parfois aboient très fort. La démocratie indonésienne semble avoir une sérieuse gueule de bois. Le mieux est alors d’arrêter de boire. Ah ! mais voilà enfin un propos qui devrait plaire à certains, comme quoi il est toujours possible de s’entendre…

 

 

Franck Michel

 

 

 

 

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